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Prévenir et combattre le harcèlement sexuel

Prévenir et combattre le harcèlement sexuel

 

Question émergente qui peut avoir de lourdes conséquences, le harcèlement sexuel et les discriminations sexistes doivent être pris au sérieux dès lors qu'ils sont invoqués.

En 2006, le maire de Sainte-Colombe, commune de Seine-et-Marne de 1 700 habitants, a été condamné par la cour d'appel de Paris à huit mois de prison avec sursis, cinq ans d'inéligibilité (interdiction des droits civiques, civils et de famille) et à verser plusieurs milliers d'euros d'indemnités à trois des quatre employées administratives de la mairie qui avaient porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel, agression sexuelle et harcèlement moral. Dans une autre affaire, une fonctionnaire administrative et gardienne accuse un maire de Seine-Saint-Denis d'attouchements par surprise et contrainte pendant un an durant ses rondes. Le jugement sera rendu le 26 juin au tribunal correctionnel de Paris, où ce procès a été délocalisé. La pro­cureure a requis six mois de prison avec sursis contre l'élu.
Des personnes en position fragile. L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) et Femmes solidaires se sont portées parties civiles. La plaignante, après avoir travaillé vingt ans dans cette mairie, a dû, à 52 ans, quitter son poste et son logement. Sa hiérarchie n'a eu d'autre solution à lui proposer qu'une retraite anticipée, rémunérée à hauteur de 824 euros mensuels alors qu'elle élève seule ses enfants. Outre la réparation du préjudice subi, elle demande la reconstitution de sa carrière pour les années perdues.
L'AVFT, association subventionnée par le ministère du Travail, accompagne les victimes dans leurs démarches et assure des formations à la demande des institutions. Dans les dossiers de la FPT qu'elle suit, elle constate que les auteurs de harcèlement sexuel sont majoritairement des élus, des DGS ou des chefs de services à dominante masculine (police municipale, services techniques, sapeurs-pompiers). Plus rarement, des collègues ou des subalternes. Associée du cabinet Genesis avocats, spécialisée en droit des collectivités, Marie-Yvonne ­Benjamin observe une fréquence accrue de ce problème dans des communes qui intègrent du personnel transféré, notamment de l'Etat. « L'autorité hiérarchique précédente laissait faire. Selon le milieu, c'était parfois considéré comme normal. Des situations ont donc perduré, confortant le rôle du harceleur face à des personnes en position fragile, contractuelles ou jeunes femmes ravies d'avoir un premier emploi, mais dépendantes de leur chef, ou très diplômées, mais sans expérience de terrain », note l'avocate, alarmée d'avoir vu, récemment, sur un chantier, de jeunes cadres sous la pression d'ouvriers de 40 à 50 ans. « Naïves, elles n'étaient pas armées pour affronter ce type de situation », déplore-t-elle.
Des conséquences graves. Depuis la loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002, le harcèlement sexuel ne repose plus sur l'abus d'autorité. Les agissements de toute personne sur le lieu de travail peuvent être reconnus en tant que tel. Le Code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». A la différence du harcèlement moral, caractérisé par la répétition, il suffit d'une parole, d'une attitude ou d'un geste pour que le harcèlement sexuel soit reconnu. « Des propos grivois, des sollicitations graveleuses par courrier ou par email, un message empressé à connotation sexuelle, même sans menace, ou un cadeau au domicile peuvent être considérés comme une atteinte à la dignité », précise Marie-Yvonne Benjamin. Moins pris au sérieux que le harcèlement moral, le harcèlement sexuel a des conséquences aussi graves : dépression, tendance au repli, troubles alimentaires et du sommeil, répercussions sur l'entourage familial et social. Un employeur qui laisse perdurer ces situations engage sa responsabilité vis-à-vis de l'agent harcelé, qui peut porter plainte contre lui.
Si un élu ou un DGS sont mis en cause, dénoncer la situation n'est pas simple, même pour un DRH. « Faire appel à un tiers peut être utile lorsque le harceleur présumé a une position hiérarchique. S'il s'agit d'un élu, il faut en parler au maire ou au président de l'exécutif. Si le DGS est en cause, il faut examiner la situation avec l'élu et si c'est un agent, le DGS sera l'interlocuteur. Pouvoir s'appuyer sur d'autres élus ou une organisation syndicale peut aussi aider », estime Karim ­Douédar, DRH du conseil général de l'Eure (lire l'encadré ci-contre), qui insiste sur la nécessité d'agir, pour ne pas voir le harceleur faire d'autres victimes. « On peut être amené, s'il y a des preuves, à appliquer le droit de la fonction publique et à judiciariser le problème », reconnaît-il.
Soutien au management. « Trop souvent, note Marie-Yvonne ­Benjamin, l'autorité ne fait pas son travail. Elle doit observer, enquêter, arbitrer, sanctionner et faire en sorte que tout le monde sache à quoi il s'expose. Ce n'est pas parce que l'on est élu ou doté d'un pouvoir hiérarchique que l'on peut tout se permettre ! » Avant de sanctionner, la collectivité peut, par précaution, demander un travail d'analyse à un juriste extérieur. « Je rapporte la réalité avec le souci de rétablir les faits. Je les qualifie. Cela permet à l'autorité administrative et aux élus d'appréhender l'ampleur du problème. Ce diagnostic permet de corroborer la décision. Le risque, pour la collectivité, peut être considérable. Si elle laisse perdurer une situation, elle peut être considérée comme complice. Le harcèlement sexuel porte atteinte à la dignité de la personne. C'est très grave », ­insiste ­Marie-Yvonne Benjamin, qui constate une relative unanimité pour ne plus tolérer ces pratiques. « Dans certaines collectivités, nous créons des comités de management. Les cadres disposent d'un numéro vert pour identifier une situation anormale. Venir à bout de ces diffi­cultés suppose que l'administration ait mis en place un soutien au management afin que les cadres ne se sentent pas seuls. » La tolérance à la circulation d'images pornographiques et aux blagues sexistes autorise des comportements plus graves. « Si les employeurs prenaient leurs responsabilités, ils enverraient des messages clairs aux harceleurs en affirmant qu'ils ne veulent pas de ça chez eux et les sanctionneraient suffisamment tôt », estime la déléguée générale de l'AVFT, Marilyn Baldeck.
En prévention, un dispositif d'écoute et d'alerte ou une charte visant à déceler toute forme de harcèlement peuvent être mis en place avec les organisations syndicales, en tenant compte du passé de la collectivité. « Les instances d'écoute ne sont utiles que si elles garantissent l'anonymat des victimes et des témoins. Mentionner explicitement le risque de harcèlement sexuel dans la rédaction du document unique est un préalable à la prévention », souligne Muriel Trémeur, juriste. La médiation, en revanche, n'est pas conseillée. « Cela met en jeu des personnes qui ne sont pas à égalité », fait valoir ­Marilyn Baldeck.
L'information pour prévention. Les syndicats, qui peuvent être saisis par les victimes, mais aussi par le comité d'hygiène et de sécurité, la médecine du travail ou l'assistante sociale ne sont pas toujours à l'aise pour aborder ces problèmes considérés parfois, à tort, comme individuels. C'est pour « balayer devant sa porte » que l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) a organisé, le 10 avril, un colloque sur « les violences faites aux femmes sur le lieu de travail » au conseil régional d'Ile-de-France. « Nous avions deux exemples de harcèlement sexuel au sein de notre­ syndicat, nous n'avons pas hésité à les citer. Cela a provoqué des remous. Nous avons préféré reconnaître que nous avons des brebis galeuses et sensibiliser nos militants », avance Christine Dupuis, secrétaire nationale. Un fascicule et une « boîte à outils » vont être distribués afin que ceux-ci se saisissent du sujet. « Certaines attitudes sont minimisées, constate-t-elle. Les femmes ne portent pas plainte de peur de passer pour des bêcheuses. Mais une main aux fesses, des plaisanteries à longueur de journée ou des photos salaces sur l'ordinateur sont des agressions ! »

Contact
AVFT, tél. : 01.45.84.24.24. Email : contact@avft.orgSite : www.avft.org

 

 

« Etablir un faisceau d'indices concordants »

AVIS D'EXPERT Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail« A défaut de témoins, nous retraçons avec les victimes la chronologie des faits pour parvenir à un faisceau d'indices concordants. Souvent, elles parlent pour la première fois. Nous reprenons leur parcours depuis l'embauche. Ensuite, nous leur demandons de nous saisir par écrit, de même que l'inspection du travail et, dans la fonction publique, s'il y a agression ou viol, de faire une demande de protection fonctionnelle par la voie hiérarchique. Cela suppose qu'une enquête administrative soit réalisée et que le harceleur soit sanctionné. Mais cette démarche pose généralement problème dans la FPT, qui n'a pas, comme l'Etat, de corps d'inspection. Dans une mairie, l'enquête est effectuée en interne par des agents juges et parties, eux-mêmes exposés. »

 

 

Mme C, agent chargé des finances (*) « Les élus, en particulier les femmes, ont mis du temps à nous croire »
« Le maire était un homme très "tactile". Pour dire bonjour, il mettait la main sur l'épaule. Très autoritaire, il affirmait que le droit de cuis­sage devait être rétabli, me dénigrait devant d'autres personnes, pouvait me crier dessus durant des heures. Il se sentait supérieur. A plusieurs reprises, il a essayé de m'embrasser. Je devais le repousser. J'ai fait une première dépression. Avant que nous portions plainte collectivement - mes collègues, pour harcèlement moral, et moi, pour harcèlement et agression sexuels -, il me faisait monter dans son bureau, on parlait travail et, au moment où j'allais partir, il fermait la porte à clé et essayait de me "peloter". Les personnes de mon entou­rage ne comprenaient pas pourquoi je ne l'avais jamais giflé. Mais la peur vous paralyse. Il nous a menacées. Nous avions une peur bleue de rester en mairie. Les élus, les femmes en particulier, ont mis du temps à nous croire. Dans un premier temps, la population a pris parti pour lui sans savoir. J'ai gagné mon procès, mais il a détruit beaucoup de choses dans ma vie. »

(*) Les initiales des noms ont été changées.

 

 

Bientôt un guide
Le dépliant « Agir contre les violences sexistes et sexuelles dans les relations de travail dans la fonction publique à Paris » paraîtra prochainement. Il est réalisé par la sous-commission de lutte contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes sur le lieu de travail, créée par le préfet de Paris. Cette instance, pilotée par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Paris, réunit notamment des représentants du ministère du Travail, de l'Intérieur, du Parquet, de la mairie de Paris, des associations et des employeurs.

 

 

Mme B. gardienne de police municipale (*)« On me laissait seule en intervention dans des quartiers sensibles »
« J'ai demandé une révision d'évaluation car des collègues arrivés après moi étaient mieux notés. J'étais la seule femme de l'équipe. A partir de là, de nombreuses choses m'ont été reprochées. On m'a évincée en me demandant d'assurer des missions en maillot de bain à la piscine. J'étais mal notée parce que je ne pouvais pas circuler à vélo, aucun n'étant à ma taille. Le gilet pare-balles n'était pas adapté. Quand mes frais de formation n'ont pas été remboursés, alors qu'ils l'étaient pour un confrère, je me suis sentie discriminée. Mes collègues branchaient l'alarme quand j'étais dans les vestiaires, me laissaient seule sur des interventions en quartier sensible. Je devais rentrer à pied. Un jour, je suis repartie sans casque sur le scooter d'un collègue compatissant. J'avais trouvé un poste ailleurs, mais un coup de fil malveillant a empêché mon recrutement. Cette volonté de me nuire parce que je suis une femme n'est plus supportable. Mon avocat a porté plainte au tribunal administratif pour discrimination sexiste et au tribunal pénal pour harcèlement moral. »

 

 

 « Un sujet encore tabou »
AVIS D'EXPERT Karim Douédar et Muriel Trémeur, auteurs (*) « Dire qu'il y a des situations de harcèlement sexuel dans la fonction publique est encore tabou et très difficile à dénoncer. Comme pour le viol, dans les années 70, on considère encore qu'il n'y a pas de fumée sans feu, que la victime a été provocante. Il faut distinguer deux types de harcèlement : celui venant de quelqu'un qui profite de sa position et un autre, plus banal, où un agent a eu une relation avec une autre personne qui n'en veut plus. Mais il existe aussi de fausses victimes. Si la situation est jugée sérieuse, on monte une enquête administrative interne pour voir comment les événements se sont passés, entendre les deux parties et recueillir tout ce que les protagonistes ont à dire. Leurs témoignages constituent un faisceau d'indices. Ensuite, il faut prendre des mesures de protection de la personne harcelée et des mesures disciplinaires, de suspension ou d'éloignement, contre le harceleur. »(*) Respectivement DRH au conseil général de l'Eure et docteur en droit public, auteurs de « Fonction publique : prévenir et gérer le harcèlement moral et sexuel » et « Fonctionnaires : comment réagir au harcèlement moral et sexuel », Editions du Papyrus, 2008.

 

 

REFERENCES
Article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.Directive 2002/73/CE du parlement européen et du conseil du 23 septembre 2002.Article 222-33 du Code pénal.



17/07/2008

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